THÉÂTRES DU MONDE - Le théâtre dans le monde arabe

THÉÂTRES DU MONDE - Le théâtre dans le monde arabe
THÉÂTRES DU MONDE - Le théâtre dans le monde arabe

À ses débuts, le théâtre arabe apparaît comme un art d’importation étrangère; il a dû lutter longtemps avant d’être admis par la société bien qu’il ait parfois bénéficié de l’aide des pouvoirs publics. Au départ, les auteurs essaient d’acclimater ce genre nouveau en y incorporant les arts traditionnels et en s’inspirant de la maq ma . Ces apports, tant populaires que littéraires, le poids du passé engagèrent le théâtre dans une voie qui ne fut pas toujours la meilleure. Les auteurs ne sont pas parvenus d’emblée à fondre dans le même creuset les divers apports arabes et occidentaux. Ce n’est qu’après un siècle environ que les divers emprunts ont fusionné dans un ensemble original. On peut alors parler d’un théâtre arabe qui a sa personnalité propre, qui existe par soi. Désormais, la source étrangère, mieux assimilée, n’est plus la dominante de l’inspiration des écrivains et artistes, mais constitue un apport plus vivifiant qui, agissant en profondeur, leur permet des créations véritablement arabes.

L’absence du théâtre dans la littérature classique

Les travaux du chanoine Drioton montrent que le théâtre naquit dans l’Égypte ancienne. Outre les mystères d’Osiris, qui remontent à la Ire dynastie, un théâtre laïcisé exista en Égypte dès le IIe millénaire. Pourtant, la tradition théâtrale disparut de l’Égypte à l’avènement du christianisme. Arabisée et islamisée, l’Égypte, comme les autres pays arabes, continua d’ignorer l’art dramatique jusqu’au XIXe siècle.

Plusieurs orientalistes ont expliqué par des raisons d’ordre religieux l’inexistence d’un théâtre dans la civilisation arabe: l’islam n’aurait pas toléré qu’on rivalisât avec Dieu, seul façonnier des images; les musulmans auraient méprisé le théâtre grec, inspiré par le polythéisme et élevant le héros au rang de Dieu. Mais cette thèse est infirmée par le fait que les Arabes ont toléré et même aimé Karagöz et le ta‘ziyah .

Certains auteurs arabes, dont Tawf 稜q al- ネak 稜m, estiment que les pérégrinations continuelles des nomades, les razzias et les guerres intestines n’ont pas créé un climat propice à la naissance du théâtre. La raison essentielle de ce phénomène est, semble-t-il, à la fois historique et esthétique. Dans le monde méditerranéen, la littérature dramatique était tombée en décadence pendant l’époque romaine et finit par disparaître jusqu’au Xe siècle. Les Arabes n’ont donc pas trouvé d’exemples vivants de cet art dans les pays dont ils firent la conquête. Certes, ils auraient pu s’inspirer du patrimoine théâtral légué par la Grèce antique comme ils furent profondément influencés par la philosophie et les sciences grecques. Or, les auteurs arabophones, convaincus que leur propre littérature était inégalable et que «le privilège de la poésie était réservé aux Arabes» (face="EU Caron" ィa ムiz), fondèrent un humanisme à peu près sui generis , hostile à tout apport indo-persan et grec. De plus, il ne s’est trouvé aucun traducteur capable de révéler la beauté du théâtre grec (on traduisit «tragédie» par «panégyrique» et «comédie» par «satire»).

On décèle cependant chez les Arabes certaines manifestations scéniques. La grande tradition des clowns s’accompagne souvent de mimique. La littérature romanesque, et notamment Les Mille et Une Nuits , les gestes et la maq ma (séance) contiennent des répliques dialoguées. Une certaine théâtralité réside aussi dans quelques rites et cérémonies pseudo-religieuses: le zar , rite de dépossession qui a ses personnages masqués, la danse des derviches tourneurs et surtout le ta‘ziyah sh 稜‘ite, qui est un théâtre religieux commémorant le sacrifice de ネusayn, petit-fils du Prophète, massacré le 10 octobre 860 par Shamar, le général d’un calife omeyyade sunnite. Dans les pays arabes où le sh 稜‘isme céda la place au sunnisme (Afrique du Nord, Égypte), les mystères du ta‘ziyah dégénérèrent en carnaval. Le théâtre d’ombres karagöz (cf. THÉÂTRES DU MONDE - Le théâtre turc) amusa longtemps sunnites et sh 稜‘ites par ses aventures pittoresques et embrouillées, sa grande vivacité, son style direct et ses situations scabreuses. Le spectacle comportait un prélude et une pièce comique (fa ルl mu ボムik ) composée généralement de quelques courts dialogues, de danses accompagnées de mimique. Le muqaddim (montreur) manipulait des personnages en carton ou en cuir coloré, improvisait ou interprétait un texte transmis de génération en génération mais adapté en fonction du public et des événements locaux.

Naissance du théâtre

La naissance d’un théâtre de type occidental eut lieu au XIXe siècle, lorsque la culture arabe fut «agressée» (J. Berque) par la culture occidentale. Des Libanais et des Syriens chrétiens et bilingues, et par conséquent moins attachés aux valeurs anciennes, intègrent, dans les années 1840, le roman et le théâtre à la littérature arabe. Toutefois, ils craignent de trop innover, de peur de soulever la colère de la majorité musulmane qui pourrait voir dans leur entreprise de rénovation culturelle une atteinte à la personnalité nationale. Romanciers et auteurs dramatiques s’efforcent donc de renouer avec les genres traditionnels en reprenant les procédés et les thèmes de la maq ma (prose rimée, aventures pittoresques du truand beau parleur) et en puisant dans le monde fabuleux et irréel des Mille et Une Nuits et des gestes populaires. Cette audace calculée ne favorise pas toujours l’implantation de ces nouveaux genres dont elle ne donne finalement qu’une idée fausse ou incomplète. Cette tendance apparaît clairement dans l’œuvre de Mar n an-Naqq sh. En 1847, ce maronite libanais écrit la première pièce arabe, Al-Bakh 稜l , en s’inspirant de L’Avare de Molière. En 1850, il adapte l’un des contes des Mille et Une Nuits , «Le Dormeur éveillé» (Abul Hasan al-Mughaffal ). Dans ces deux comédies, il utilise la prose rimée et émaille le dialogue de poèmes et de couplets chantés, à l’instar de Karagöz.

En Égypte, l’avènement d’Ism ‘ 稜l pacha (1863-1879) favorise la naissance d’un théâtre national. Désireux de faire du Caire le Paris de l’Orient, ce vice-roi ouvre les portes de son pays aux troupes italiennes et françaises, fait construire le théâtre de l’Opéra en 1869 et encourage les comédiens arabes. Désormais, le théâtre arabe se développera en Égypte.

Un juif égyptien, James Sanua (ou Y q b Sann ‘), écrit de 1870 à 1872 une dizaine de pièces qu’il joue sous le patronage du khédive. Mais, dès que Sanua s’avise de dénoncer certains abus sociaux, Ism ‘ 稜l pacha lui interdit toute activité théâtrale. Bien que l’œuvre de Sanua s’inspire en grande partie de celle de Molière, elle révèle une originalité certaine. En effet, l’auteur y met à profit ses extraordinaires dons d’observateur et la vivacité de son esprit qui lui permettent de tracer une longue série de portraits (la nouvelle bourgeoisie et l’aristocratie vivant «à la franque», les spéculateurs en bourse, le médecin de formation occidentale aux prises avec les guérisseurs, le fumeur de haschisch).

Une autre tentative, aussi intéressante, est celle d’Osman face="EU Caron" ィal l (1828-1896) qui réussit à intégrer Molière au cadre égyptien: il adapta cinq de ses comédies, dont Le Tartuffe (Shaykh Matl f ) qui poursuit encore une brillante carrière. face="EU Caron" ィal l adopte le dialecte, arabise les noms des personnages et transpose les sujets dans la société musulmane de la fin du XIXe siècle. Malheureusement, cette œuvre passa inaperçue et ne fut découverte qu’en 1912. Le succès favorisa en revanche le neveu de Mar n an-Naqq sh qui, de 1875 à 1878, joua en Égypte des tragédies de Corneille, de Racine et de Casimir Delavigne. Il revient à Sal 稜m an-Naqq sh le mérite d’avoir été le premier à révéler la tragédie aux Arabes. Néanmoins, il réduisit ces tragédies à des drames en en compliquant l’intrigue et en multipliant les effets scéniques. Depuis, on confond souvent drame et tragédie, traduit souvent par le même terme (f face="EU Caron" ギi‘a, m s t ).

L’occupation de l’Égypte en 1882 par l’Angleterre éveilla le sentiment national et favorisa la naissance d’un théâtre didactique et historique qui faisait vivre le glorieux passé arabe ou analysait les raisons du déclin du monde musulman (pièces de ‘Abd All h an-Nad 稜m, de Mustafa K mil...). Malheureusement, il arrivait fréquemment que, chez les auteurs dramatiques, l’artiste cédât le pas au tribun.

À l’encontre de ce théâtre militant, celui du Syrien Abu Khalil al-Qabb n 稜 évite tout ce qui peut mécontenter les pouvoirs publics et s’efforce de plaire à un public semi-inculte et assoiffé de sensations violentes. Ce cheikh avait formé en Syrie une troupe qui, ayant joué une pièce tirée des Mille et Une Nuits , souleva un tollé général. Le sultan Abdulham 稜d II ordonna la fermeture du théâtre d’al-Qabb n 稜. Celui-ci se réfugia alors en Égypte où il connut, de 1884 à 1900, un succès considérable. Al-Qabb n 稜 adapta pour la scène plusieurs contes des Mille et Une Nuits , des légendes héroïques arabes et une dizaine d’œuvres françaises classiques et romantiques (Mithridate, Hernani, Catherine Huart ). La réussite d’al-Qabb n 稜 s’explique par le fait que son théâtre tient à la fois du cirque, de la parade et du karagöz . Malgré la diversité de leurs sources, ses pièces se caractérisent toutes par des intrigues compliquées et invraisemblables, des sentiments extravagants, des éléments macabres et par leur dialogue où la prose alterne avec une poésie chantée sur des airs variés et parfois même dansés.

Le théâtre du Boulevard

Le succès d’al-Qabb n 稜 suscita des vocations chez beaucoup de Libanais, de Syriens et d’Égyptiens des deux sexes qui formèrent une dizaine de troupes pendant la première moitié du XXe siècle. Le théâtre, autrefois frappé de discrédit, acquit ses lettres de noblesse: on vit monter sur les planches un avocat, ‘Abd ar-Ra ムm n Rushd 稜, et le fils d’un pacha, Y suf Wahb 稜.

La diversité des goûts du public égyptien amena les troupes à se spécialiser. Certaines jouèrent exclusivement des pièces lyriques (Sal ma ネi face="EU Caron" ギ z 稜, Mun 稜ra al-Mahdiyyah), d’autres des comédies et des vaudevilles (Na face="EU Caron" ギ 稜b ar-Ri ム n 稜, ‘Al 稜 al-Kas r), la tragédie (Georges Abya ボ), le drame (Georges Abya ボ, ‘Abd ar-Ra ムm n Rushd 稜, F レima Rushd 稜), le mélodrame et le grand guignol (Y suf Wahb 稜).

Alors qu’au XIXe siècle les directeurs de théâtre étaient à la fois auteurs et acteurs, ils durent au XXe siècle s’aider d’une foule de «fournisseurs» recrutés parmi les étudiants (dont Tawf 稜q al- ネak 稜m), les petits fonctionnaires et les journalistes qui écrivaient parfois des pièces originales et adaptaient souvent la production théâtrale de la Belle Époque publiée notamment par La Petite Illustration . Suivant l’exemple de face="EU Caron" ィal l, les adaptateurs essayaient de donner un cachet national aux pièces qu’ils arrangeaient en dénonçant les dangers qui assaillaient une société en pleine mutation (émancipation de la femme, méfaits de l’adoption du mode de vie occidental, problèmes du mariage mixte).

Ces troupes effectuèrent des tournées dans les pays arabes où elles obtinrent un succès considérable. En 1926, Georges Abya ボ joua des drames historiques à Baghdad, ce qui encouragea ネaqq 稜 Shabl 稜 à créer une troupe, mais sa tentative se solda par un échec. En 1947, Sim n al-‘Imar 稜 représenta quelques pièces puis on n’entendit plus parler de lui. En Syrie, ‘Abul Sa‘ d forma une association théâtrale, mais son entreprise échoua bien vite devant l’indifférence générale.

C’est en Afrique du Nord que l’influence égyptienne a été la plus durable. En 1922, Georges Abya ボ joue à Alger des drames écrits en arabe classique et destinés à éveiller le sentiment national. La même année, l’élite algéroise crée une troupe, al-Muhazziba («l’éducatrice»), qui, utilisant une langue littéraire, se heurte à l’incompréhension générale. À partir de 1926, Rachid Ksentini, ‘Allalou et surtout Mohieddine Bachtarzi, dont le succès se prolonge jusqu’en 1950, présentent au public des pièces écrites en arabe dialectal, adaptées en partie du théâtre français et étudiant les problèmes sociaux de l’heure (mariage mixte, émancipation féministe). Ce théâtre, qui rappelle étrangement la production théâtrale égyptienne de la première moitié du XXe siècle, finit par susciter la réprobation des milieux conservateurs et la méfiance des pouvoirs publics français qui pratiquent à son égard une politique d’obstruction.

L’influence égyptienne sur le théâtre tunisien est également importante. C’est en 1907 que l’Égyptien Sulaym n al-Qurd ム 稜 s’installe en Tunisie avec sa troupe, forme plusieurs acteurs tunisiens dont Lakkud 稜 et Mu ムammad Bourguiba (frère du président Bourguiba) qui crée en 1909 une société théâtrale. Peu de temps après, ‘Al 稜 al-Khazn 稜 en forme une autre, ash-Shah ma . L’influence égyptienne devient plus sensible après les tournées qu’effectuent en Tunisie Georges Abya ボ (1921), Y suf Wahb 稜 (1927), F レima Rushd 稜 (1932), et Na face="EU Caron" ギ 稜b ar-R 稜 ム n 稜 (1935). Enfin, après son accès à l’indépendance, ce pays fait appel au metteur en scène égyptien Zak 稜 ヘulaym t qui dirige pendant plusieurs années une troupe tunisienne. Cependant, le théâtre tunisien commence à sortir de l’ornière grâce au jeu plein d’entrain de ‘Al 稜 ben Ayed et au talent d’un auteur dramatique, ネabib Boularès.

Le même Zak 稜 ヘulaym t fut chargé de former et de diriger une troupe koweitienne après l’indépendance du Koweit en 1961. Depuis, on joue dans cette principauté des pièces pour la plupart égyptiennes.

Une littérature dramatique

Alors que le théâtre populaire continue à avoir la faveur des masses, il est méprisé par les intellectuels qui lui reprochent son manque d’originalité. En effet, les «auteurs» pillent sans vergogne les dramaturges étrangers en les «arabisant» un tant soit peu. Point d’effort personnel, le talent consistant moins à s’exprimer hors des sentiers battus qu’à traiter, mieux que d’autres, des thèmes et des genres traditionnels. N’est-ce pas un retour à la méthode de l’inti ム l (larcins littéraires)?

En Égypte, le climat politique et culturel favorise pendant l’entre-deux-guerres l’essor d’une littérature dramatique originale. L’émancipation politique du pays après la révolution de 1919 contribue à la naissance d’un humanisme arabe fier de ses richesses intellectuelles et ouvert aux autres apports culturels désormais mieux compris. Sur le plan littéraire, les écrivains s’efforcent de composer des œuvres originales où s’incarne l’âme de la nation. C’est ainsi que le grand poète A ムmad Shawq 稜 (mort en 1932) écrit, sur le modèle de la tragédie française, des pièces qui évoquent les périodes sombres de l’histoire du monde arabe en général et de l’Égypte en particulier. Toutefois, ces tragédies sont, comme les œuvres égyptiennes contemporaines, embarrassées d’éléments lyriques.

C’est avec Tawf 稜q al- ネak 稜m que le théâtre arabe se libère totalement des genres traditionnels et trouve son expression la plus authentique. Vivant en France de 1925 à 1927, il découvre Pirandello que Dullin et les Pitoëff jouent admirablement à Paris. Cette révélation marque profondément la sensibilité d’al- ネak 稜m. Il abandonne alors les conventions du théâtre arabe en traitant notamment dans La Caverne des songes (Ahl al-Kahf ), Schéhérazade (Shahraz d ), Œdipe roi (al-Malik 樓d 稜b ), Pygmalion (Pigmaly n ), Je veux tuer (Ur 稜d an aqtul ) et Le Metteur en scène (Al-mukhri face="EU Caron" ギ ) des thèmes pirandelliens: fluidité de la personnalité humaine, relativité des apparences, opposition entre la vie changeante et la forme immobile, impossibilité de communiquer avec autrui. Al- ネak 稜m a beaucoup évolué par la suite. Après la Seconde Guerre mondiale, il a modifié sa technique. Aux poèmes dramatiques remarquables par la profondeur de leurs symboles philosophiques succèdent des ouvrages réalistes qui se distinguent par leur verve pittoresque, la puissance d’observation et le sentiment saisissant de la réalité: Théâtre social (Al-Masra ム al-mu face="EU Caron" ギtama ‘), Théâtre multicolore (Al-Masra ム al-munawwa ‘). Après la révolution de 1952, il écrit des pièces engagées.

Cette œuvre multiforme a obtenu un succès international et exercé une influence profonde sur les dramaturges arabes. Une pléiade d’écrivains, suivant l’exemple d’al- ネak 稜m, a produit des œuvres originales où le drame s’intériorise, où l’action, toujours simple, puise ses mobiles dans les caractères et non dans les péripéties (comme les œuvres de l’Égyptien Mahm d Taym r, du Tunisien Mu ムammad Mas‘ad 稜 dont Le Barrage (As-sadd ) a été qualifié de pièce «ibsénienne» par Louis Massignon, des Libanais Adonis et Sa‘ 稜d ‘Aql). Mais ce théâtre ne satisfait plus certains auteurs et metteurs en scène qui lui reprochent son «moule occidental» incompatible, selon eux, avec l’expression de la personnalité nationale. Il ne s’agit pas, affirment-ils, d’un retour à un nationalisme culturel, mais d’un désir sincère d’exprimer les besoins d’un désir sincère d’exprimer les besoins culturels d’un peuple redevenu lui-même. Il faudrait, selon Alfred Fara face="EU Caron" ギ et Y suf Idr 稜s, intégrer au théâtre arabe des éléments traditionnels ou langagiers afin de lui restituer son authenticité. Il est indispensable aussi de lui assurer un lieu théâtral adéquat. C’est ainsi qu’à la fin de 1962 et au début de 1963 de jeunes metteurs en scène égyptiens de formation anglaise et française invitent les auteurs arabes à adopter les nouvelles idées sur le théâtre et notamment la langue et l’architecture du lieu théâtral. C’est alors que Tawf 稜q al- ネak 稜m écrit une antipièce à la Ionesco, O toi qui grimpes à l’arbre (Y レ l 稜 ashsha face="EU Caron" ギarah , 1962), dont le thème s’inspire du folklore égyptien. En 1967, il publie Notre Moule dramatique (Q libuna al-masra ム 稜 ) dont la technique renoue avec la tradition du r w 稜 (conteur public). En Syrie, Chérif Khaznadar préconise la «recréation» d’une expression dramatique arabe traditionnelle (karagöz , boîte magique, musique).

Au Maroc, Tayyeb Saddiki adopte la technique d’al- ムalqa (le cercle), qui est une forme d’art populaire née à Marrakech, sur la place de la mosquée al-Fan ‘, et fondée sur la mimique et l’art de conter. Une fois formé le «cercle» de spectateurs, le jeu commence et les acteurs invitent le public à y participer. N’est-ce pas la technique du théâtre en rond?

Le théâtre arabe depuis 1967

Après 1967, le théâtre connaît une nouvelle mutation. La guerre de Six Jours, qui voit la déroute des armées arabes en juin 1967, l’évolution tragique du problème palestinien, la guerre du Liban, la guerre irako-iranienne et l’isolement de l’Égypte après la signature des accords de Camp David, tous ces événements bouleversent profondément les Arabes, ébranlent leurs certitudes, leur révèlent la faillite des régimes militaires ou conservateurs. Cette crise que traverse le monde arabe n’a pas manqué d’avoir ses répercussions sur le théâtre. Des auteurs d’avant-garde comme le Syrien Saadallah Wan s, les Marocains Abdul Krim Bourachid et Ahmad El-Iraq 稜 et les Égyptiens Sal h Abdul Sabour, Nag 稜b Sorour, Saad ad-D 稜n Wahba, Aly Salem et Fawzy Fahmy écrivent des pièces où ils expriment leur colère, analysent les raisons de la débâcle de 1967 et des divisions du monde arabe, dénoncent les régimes bourgeois ou pseudo-socialistes qui sapent la démocratie, bafouent les libertés et méconnaissent les droits sociaux. Fortement influencés par Brecht (Wan s, Sorour), Beckett et Ionesco (Sal h Abdul Sabour, Wan s) ainsi que par l’évolution du théâtre occidental après Mai-68, ces auteurs optent pour un théâtre de communication avec le public. Dans Soirée à propos du 5 juin , Wan s adopte certaines techniques du Living Theatre, provoque les spectateurs afin de les associer au jeu et de libérer leur spontanéité créatrice. Il prône, comme les autres écrivains d’avant-garde, un retour aux sources, une mise en valeur des traditions populaires: comédie improvisée (karagöz , théâtre des marionnettes), fables et moralités théâtrales (fable de l’éléphant dans al-F 稜l y malik az-Zam n de Wan s), exploitation d’al-Halqa dans le théâtre du Marocain Bourachid, adaptation pour la scène des Mille et Une Nuits et des légendes de geste, intégration de certains éléments folkloriques dans le spectacle: chant, danse, z r , exercices acrobatiques, scènes animées par al-muqallid, al-h k 稜 , le r w 稜 et le s mir . De la sorte, ce spectacle deviendra une fête populaire, mais dans ce théâtre politique la fête et la dénonciation ne font qu’un.

Ce théâtre a frôlé le chef-d’œuvre dans les drames poétiques de Sal h Abdul Sabour (1931-1981) qui parvient à concilier Eliot, Ionesco, Maeterlinck et le patrimoine arabe. Mais il faut reconnaître que la plupart des pièces manquent d’envergure. De plus, les œuvres s’attirèrent bien souvent les foudres du pouvoir. En Égypte, une censure particulièrement vigilante aurait interdit la représentation d’une centaine de pièces entre 1967 et 1982. Né dans un milieu hostile, ce théâtre n’a pas pu s’épanouir librement: certains auteurs ont d’ailleurs préféré émigrer, d’autres s’enfoncent dans le silence ou, assagis, écrivent sans retenue pour le Boulevard et la télévision. L’afflux des pétro-dollars dans le monde arabe, la transformation du Caire, entre 1974 et 1978, en un lieu de plaisir pour certains ressortissants de l’Arabie Saoudite et des pays du Golfe, l’ascension sociale d’une multitude de commerçants et d’affairistes égyptiens grâce à la politique économique de la «porte ouverte» adoptée par Anouar el-Sadate et surtout l’existence d’un public arabe féru de vidéocassettes ont contribué au succès du Boulevard dans les pays arabes. Ce théâtre, qui pille sans vergogne les œuvres étrangères ne doit à aucun prix déranger, ni choquer. Il se moque gentiment des prétentions aristocratiques des nouveaux riches et se sert d’une mise en scène somptueuse pour projeter le spectacle dans un monde irréel qui satisfait, chez un public frivole et en grande partie analphabète, le goût de l’illusion et le désir de s’identifier avec les «nababs». D’où le succès excessif des farces d’al-Muhandis et de Madbouly qui grossissent le trait, caricaturent le réel et produisent un «effet d’éloignement» qui ne doit rien à Brecht.

Cette crise que traverse le théâtre arabe depuis 1967 a été aggravée par les grands courants de la mode internationale qui affirment la primauté de la mise en scène sur le texte. Certains metteurs en scène comme Raafat al-Doweiry, ‘Abb s Ahmad et Sam 稜r al-‘Asfoury, se considérant comme les «créateurs du fait théâtral», donnent à des pièces modernes et classiques une lecture qui scandalise les auteurs et les spectateurs parce qu’elle prend le contrepied des lectures traditionnelles et trahit la lettre et l’esprit de l’œuvre. Plus souvent encore, ces metteurs en scène écrivent eux-mêmes des pièces hermétiques (comme Qi a b 稜 Saba ヘirwa ヤi de Raafat al-Doweiry dont l’ambition est de ressusciter le théâtre pharaonique), qui sont rarement de tout premier plan. D’où le manque d’envergure de ce théâtre exsangue, dont les défauts sont aggravés par la monotonie des modèles infiniment répétés: Brecht, Ionesco, Beckett. D’où la désaffection d’un public aussi facilement séduit par les délices passifs de la télévision que rebuté par le mépris affiché par certains metteurs en scène pour le texte.

Pour sortir le théâtre arabe de l’ornière, il faudrait que les gouvernements arabes adoptent une politique culturelle plus libérale. Il faudrait aussi que les «créateurs du fait théâtral» reconnaissent que les artifices les plus voyants de la mise en scène ne peuvent masquer la pauvreté du texte ni donner au théâtre le langage qui lui manque. Il faudrait enfin qu’animateurs et metteurs en scène assument pleinement la dimension collective du travail théâtral en y associant la troupe, le public et l’auteur.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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